VIVA ! de la Loquace Cie (c) Luis Dias

VIVA ! de la Loquace Cie (c) Luis Dias

Après le festival Mima, le festival Marionnettissimo programmait le spectacle VIVA ! de la Loquace Cie. Du théâtre d’objet à deux interprètes, une comédie dramatique qui fait des allers-retours entre violences familiales et violences sociétales dans l’Espagne de Franco. Un voyage subtilement équilibré dans une mémoire douloureuse, à l’écriture précise et à l’interprétation juste. Une très belle découverte.

C’est pour moi si :

  • j’aime passer du rire au frisson en l’espace d’une seconde
  • j’aime le théâtre d’objet qui ouvre grand l’imagination
  • je me dis qu’une piqûre de rappel sur les horreurs qu’une dictature d’extrême droite fait pleuvoir sur sa population n’est pas inutile par les temps qui courent

Le drame familial imbriqué dans le drame historique

Ce sont deux histoires, et c’est une histoire à deux. C’est le passé, des ancêtres contemporains du coup d’Etat fasciste en Espagne, Pépé et Maria, deux trajectoires de vie qui se croisent et sont percutées par l’Histoire. C’est le présent, le petit-fils qui ouvre les archives et creuse en compagnie de sa compagne, avec les outils du théâtre. C’est donc une fiction, mais qui se nourrit du réel, une biographie familiale mise en forme pour la scène, un écho du passé et une réactualisation à la faveur d’un travail de mémoire nécessaire. Et ce travail même de recherche, puis de mise en scène, est représenté dans le spectacle, sans lourdeur : la fabrication de la pièce se rejoue en direct, pour rendre compte intelligemment de ce qui s’est joué pour les artistes. Et tout cela est porté à deux, par un comédien et une comédienne.

On commence donc avec Daniel dans son propre rôle, qui nous dit le point auquel il est heureux d’être sur scène et de nous présenter ce travail. Insensiblement, on glisse dans le récit : Daniel nous explique d’où il vient, son métier, ses recherches sur sa famille, rentre dans le passé, plante le décor, année 1936, le Frente popular, la Guerre d’Espagne, la victoire des fascistes. Au milieu de cela, Pépé, le grand-père, dont on pourrait s’imaginer qu’il est le héros de la pièce. Mais c’est sous-estimer l’intelligence de l’écriture, qui permet de se détacher du cordonnier au fur et à mesure qu’il sombre et cède à la violence, pour cheminer jusqu’à la personne à laquelle VIVA ! rend vraiment hommage. Attendant son heure, Lisa Peyron fait la régie au plateau.

L’art de la bascule, le plaisir d’un bon retournement

Avec un matériau comme celui-là, on pourrait facilement s’imaginer un spectacle à dominante pathétique, quelque chose de sombre et de pesant. Or, il n’en est rien. Le tour de force de cette proposition est de contrebalancer le drame avec un humour vif, qui fait que l’on ressort de la pièce en ayant reçu tout ce qu’elle a de sérieux – « petite balade », fosses communes, violences conjugales, féminicide – mais sans pour autant en être plombé, voire même avec le sourire aux lèvres. C’est un tour de force à soi seul. Ce résultat est obtenu grâce à un dosage fin, dans l’écriture, entre les les séquences historiques ou explicatives, et les séquences plus légères, souvent au présent. Tout aussi bien, quelques images bien trouvées – la comparaison des armées fascistes représentées par un faisceau de crayon impeccablement rangés, contre les armées républicaines qui se présentent en vrac dans le plus total désordre – viennent alléger les moments les plus lourds. Les deux interprètes, particulièrement Daniel Olmos, sont dans un jeu en rupture où iels glissent très vite d’un registre à un autre, alternant images de violence et plaisanterie.

La structure de la pièce toute entière est construite autour d’une rupture dans la continuité du récit, d’un retournement des rôles et des points de vue. A l’entreprise bien intentionnée mais pleine d’impensés entamée par Daniel succède la reconstitution de la même histoire par Lisa. Cela change tout. C’est inattendu, bien amené, et cela révèle une maturité et une distance dans le traitement d’une histoire familiale que le comédien s’autorise à lâcher pour la confier à une autre personne. Tout ce que le spectacle raconte, avec pudeur, du sort des femmes sous Franco, de la liberté disparue, des rêves volés, de l’enfermement, de la violence subie derrière les portes closes avec la complicité de l’ordre social, est absolument poignant.

L’objet, l’image… le théâtre

On l’a dit, VIVA ! est une pièce de théâtre d’objet, et, de ce point de vue, le travail est très accompli. Les images sont fortes, les métaphores visuelles fonctionnent bien – notamment, l’idée de prendre au premier degré l’expression « cacher la poussière sous le tapis » est plutôt géniale, et elle est bien exploitée. L’univers des objets est bien choisi, cohérent, et permet de métaphoriser un peu la violence pour la rendre supportable : crayons brisés, post-it lacérés, jusqu’à une ultime utilisation d’un rouleau de bande adhésive qui laisse le souffle coupé. Le tout s’appuie sur un bureau à tiroirs et double plateau bien utilisé, qui permet de déverser l’histoire sur le plateau initialement nu. C’est très classique, mais très bien maîtrisé : on sent la patte du Théâtre de Cuisine derrière le travail.

Les deux interprètes sont vraiment bons dans le jeu. Iels arrivent très bien à se glisser dans les ruptures, à passer d’un clin d’oeil d’un registre à un autre. Il y a dans leur jeu un mélange de sincérité et de simplicité qui permet de rentrer facilement dans la proposition. Daniel Olmos a un vrai talent comique, la force de Lisa Peyron se trouve dans la précision et la justesse du jeu, et, à elleux deux, iels forment un duo parfaitement attachant. Il s’agit d’un binôme équilibré et complice, qui ne se gêne pas pour se mettre en abîme au moment où le récit revient au spectacle qui se fait au présent. Le dernier tableau, de ce point de vue, est très bien trouvé.

En somme, une proposition à la fois très généreuse et intelligemment construite, avec ce qu’il faut d’humour et de légèreté pour que le spectacle soit facile et plaisant pour le public, sans pour autant sacrifier quoi que ce soit à la gravité du propos. On tient là une vraie petite pépite !

GENERIQUE

Écriture, mise en scène et jeu : Daniel Olmos et Lisa Peyron / Regards artistiques : Katy Deville et Clément Montagnier / Création lumières : Julie Darramon / Créations sonores : Mathias Guilbaud.

Coproductions et soutiens : Théâtre de Cuisine – Pôle Théâtre d’objet, MIMA, Marionnettissimo, Théâtre du Grand Rond, Le Tracteur, VéloThéâtre, Le MeTT – Pôle Ressources des métiers de la marionnette, Arlesie, Mairie d’Ercé. Photo © Luis Dias