On aurait dit, ce n’est pas tout à fait un spectacle, ou plutôt pas que, ou en tous cas c’est aussi une exposition, qui se visite bien sûr, mais qui peut également être spectacularisée par la présence de deux guides-comédiennes-manipulatrices. Beaucoup moins compliqué qu’elle n’en a l’air, la proposition est maligne, drôle, poétique, à l’image de la compagnie Permis de Construire qui la propose.
C’est pour moi si :
- mon quotidien est empli de poésie – ou du moins si j’aimerais qu’il le soit
- j’aime qu’on me titille à l’endroit de l’imagination, ou des zygomatiques, ou des deux
- j’aime être actif·ve face à une proposition, et pouvoir même m’en emparer de façon autonome
C’est une exposition ! C’est un spectacle ! Non, c’est une exposition-spectacle !
Le jour de la première-première, dans le hall du Théâtre aux Mains Nues, les futur·es spectateur·rices sont déjà depuis plusieurs minutes des visiteur·euses au moment où Adèle Fernique et Patosz battent le rappel des troupes. En effet, leur dispositif est déjà à vue, puisqu’il consiste en une exposition qui existe et se visite de façon autonome par rapport au spectacle. Aussi a-t-on déjà pu jeter un œil aux maquettes, aux machines, aux cartels, aux dessins, à tout ce qui constitue la partie plastique de On aurait dit, cette drôle de forme hybride qui se prête très bien à l’espace morcelé et atypique de ce théâtre du 20e arrondissement. Sous les escaliers, sous le plateau, dans le hall, dans les toilettes même, l’exposition reconfigure les espaces et transforme l’expérience de la déambulation dans un lieu que l’on croyait pourtant familier.
Quand les flâneur·euses, enfin convoqué·es à faire public, se regroupent autour des deux comédiennes, elles affirment tranquillement leur rôle de guides-conférencières, jouant sur le vrai-faux dans cette situation qui exclut toute présence d’un quatrième mur. Autant dire que, même si le texte d’explication accompagnant chaque œuvre exposée a été ciselé au mot près, à la recherche de l’équilibre entre la description et la poésie, l’improvisation fait partie intégrante de l’expérience, ceci de façon très délibérée puisque les deux interprètes sollicitent les spectateur·rices à intervalles réguliers.
Les petites croyances font les grandes idées
En effet, leur proposition toute entière s’articule autour de l’idée de recueillir la parole de l’Autre. Dans la phase de création, d’une part, puisque les artistes sont allées collecter des croyances, les fameux « on aurait dit », ces histoires purement personnelles, souvent très imaginatives, que nous nous forgeons pour expliquer un phénomène que nous observons ou une expression que nous entendons et à laquelle nous cherchons un sens. Dans la phase de représentation, d’autre part, puisque certains « on aurait dit » ont inspiré des oeuvres plastiques, et qu’il est dès lors tout-à-fait possible d’inviter le public à partager ses propres croyances, ou à deviner celles qui ont été collectées – ce que les artistes ne se privent pas de faire.
On se retrouve ainsi dans une sorte de réalité parallèle, poétique de part son décalage – parfois très cocasse – avec l’explication banalement terre-à-terre qu’une encyclopédie sans imagination n’aurait pas manqué de fournir si on avait eu la mauvaise idée de la consulter. On se rend compte, au fur et à mesure de l’enchaînement de ces sortes d’anecdotes plus ou moins élaborées, que ces petites croyances, fruits de divagations fertiles, sont bien plus drôles, plus stimulantes, plus belles enfin que la réalité prosaïque. C’est comme une invitation à retomber en enfance, non pas une enfance simpliste ou naïve, mais une enfance riche de sa capacité à l’émerveillement et au lâcher-prise, l’imagination étant laissée libre de combler ce qui manque dans le rapport à l’extérieur avec ce qui vient de l’intérieur.
Le charme discret de la juste distance
Dans cette promenade, Adèle Fernique et Patosz se tiennent à une distance savamment dosée, à la fois initiatrices, facilitatrices, mais suffisamment en retrait pour laisser la place à chacun·e de faire, un peu, librement jouer ses muscles imaginatifs. Avec un humour plutôt pince-sans-rire, elles mettent en scène ces croyances qui leur ont été confiées avec une grande considération pour les personnes qui les en ont faites dépositaires. Par moments, elles animent une scénette en faisant apparaître un objet ou une marionnette qu’elles tirent d’un recoin caché : elles ne renoncent donc pas à manipuler – et d’ailleurs le spectacle finit devant un castelet – mais elles varient les façons de se mettre au service des objets qu’elles ont distribués dans l’espace de représentation.
C’est un spectacle à l’image de cette jeune compagnie : inclusif et participatif, respectueux des personnes comme des objets, relevé de vives pointes d’humour et d’un soupçon de politique – vous comprendrez quand vous serez invité·es à vous interroger sur la condition sociale de celleux qui vous préparent votre café le matin. C’est intelligent, léger, cela détourne l’idée même de spectacle pour inviter le public à se positionner autrement dans l’expérience collective qu’est la représentation. En même temps que l’oeuvre lui renvoie sa propre créativité, et que les spectateur·rices se retrouvent connecté·es par le constat que ce qu’iels croyaient être leurs petites croyances secrètes, peut-être presque inavouables, sont en réalité partagées par tout le reste de l’assistance – un commun, en somme.
On aurait dit est une proposition aussi agréable que pleine de malice, qui sollicite au même titre le cœur, l’esprit et les zygomatiques.
GENERIQUE
Equipe de création
Conception, collecte des imaginaires, construction des objets, dramaturgie et écriture Patosz et Adèle Fernique
Aide à la construction Bruno Michellod
Conception scénographie Patosz et Aude Weinich
Construction scénographie Florent Bastaroli
Illustration Patosz
Création des dispositifs vidéo Aurelle Lavandier
Création lumière Elsa Sanchez
Visuel ©