
Le Roi Mouton par la cie Les petites Don Quichotte (c) la cie
La compagnie Les petites Don Quichotte n’en est pas à ses balbutiements : elle présente ces jours-ci son quatrième spectacle, intitulé Le Roi Mouton, au Théâtre aux Mains Nues. Un univers visuel soigné un rien rétro, des lanternes magiques, des marionnettes superbes, un texte qui tire vers la fable, une interprétation flamboyante, il y a peu à redire à ce spectacle intelligent qui ne prend pas ses (éventuellement) jeune spectateur·rices pour des pommes.
C’est pour moi si :
- je suis sensible à la séduction d’une fable gentiment irrévérencieuse
- j’aime les marionnettes très expressives
- j’apprécie les madeleines, particulièrement celles de Proust
Fable farceuse et pathétique pour enfants éveillés
Tout comme par une couronne, un souffle de vent, un sacré hasard. Une couronne qui vole le long des murs de la salle de représentation, projetée par une lanterne magique tenue à la main, et qui finit par se poser sur la tête d’un mouton tout ce qu’il y a de plus ordinaire, qui devient alors extraordinaire – en tous cas à ses propres yeux. C’est ainsi que débute l’histoire de Jean 1er, le Roi Mouton. Courtisé par une Duchesse aussi belle que bêlante, protégé par un garde du corps lion, jalousé par des loups comploteurs, Jean 1er est un souverain fort peu avisé, qui traverse bien des déconvenues.
Cette fable est mise en mots par Wilfried Bosch, qui s’est (librement) inspiré de Louis 1er Roi des moutons d’Olivier Tallec (publié aux éditions Acte Sud) en travaillant une langue qui rappelle celle de La Fontaine. Un soupçon de politique, tournée en ridicule, un peu de bon sens plutôt que de verser dans la morale sentencieuse, et une comédie de caractère assez savoureuse : voici bien la farce pathétique de Jean 1er ! Un traitement loin d’être lénifiant, et l’observation d’un jeune public devant cette proposition conduit à soupçonner que même quand, d’aventure, un terme d’un registre un peu soutenu lui échappe, il se raccroche facilement aux images pour continuer de nourrir son attention continue.
Un théâtre de marionnette et de masque bien maîtrisé
La pièce est en effet servie principalement sous forme de théâtre de masque et de marionnette – même s’il y a un peu de jeu de comédien·ne, et, comme on l’a dit, utilisation de lanternes magiques, dont l’une permet d’ouvrir le spectacle avec une petite exposition narrée qui permet d’enchaîner directement sur les intrigues de cour. En masque, on retrouve deux personnages, un bélier et un lion, et le jeu masqué convient bien au parti-pris d’une interprétation très typée, très articulée, qui a des accents de commedia dell’arte.
Les marionnettes à grande échelle sont les moutons et les loups, et leur construction, signée Ilaria Comisso, est très soignée : les personnages sont bien typés – ce qui est bien appuyé par l’interprétation vocale et la manipulation – et les marionnettes portées ont une forte présence, qui fascine totalement les enfants. La manipulation de Giada Melley et Wilfried Bosch pourra encore gagner en fluidité et en précision, mais elle donne déjà beaucoup de caractère aux personnages, chacun doté de sa voix et de ses maniérismes.
Un univers aux accents rétro
Le tout est servi par une mise en scène qui s’amuse malicieusement avec des codes visuels un brin désuets, comme sortis d’un vieil album d’images. A fond de scène est tendu un somptueux rideau rouge devant un écran. L’espace de jeu est délimité par une bordure rouge étoilée de forme circulaire, comme une piste de cirque. Une imposante lanterne magique, son cuivre poli resplendissant sous les projecteurs, fait pièce à un vieux poste de TSF aux formes baroques.
La lumière, travaillée par Pierre-Émile Soulié, donne de belles ambiances, même si elles peuvent encore gagner en nuances. A cour, Julia Sinoimeri joue sur un énorme accordéon pour accompagner le jeu et le chant – car une (modeste) partie du spectacle est (joliment) chantée. Non seulement la musique composée par Gustavo Beytelmann est-elle posée avec une grande précision au plus prêt de l’action, mais la musicienne, par son attention soutenue à ce que font ses partenaires au plateau, invite par mimétisme le public à faire de même.
Avec son petit parfum désuet, son perfectionnisme sur la forme et l’énergie mise dans son interprétation, Le Roi Mouton a de belles séductions. Ce spectacle moderne qui s’apprête d’un peu de nostalgie a du caractère : le pari de faire du neuf avec des apparences de vieux n’est pas facile à tenir, mais cette proposition jeune public y réussit très bien !
GENERIQUE
Écriture : Wilfried Bosch / Librement inspiré de Louis 1er Roi des moutons de Olivier Tallec et publié aux éditions Acte Sud.
Musiques : Gustavo Beytelmann
Interpretation et mise en scène : Giada Melley et Wilfried Bosch
Musicienne : Julia Sinoimeri
Marionnettes et objets : Ilaria Comisso
Création lumière et collaboration artistique : Pierre-Émile Soulié
Collaboration artistique et à la production : Louise Machon, Maïlys Habonneaud