"Le jeu de l'ourse" par la cie Nids Dhom (c) festival Mima

« Le jeu de l’ourse » par la cie Nids Dhom (c) festival Mima

 

Création récente de la compagnie Nids Dhom, Le jeu de l’ourse est une forme courte de théâtre d’objet pétillante et intelligente, qui s’est déjà taillé une belle réputation. Au festival Panique sur Zone elle a reçu un accueil très chaleureux du public, qui l’a saluée par des salves d’applaudissements et, surtout, par de grands éclats de rire. Du fond intelligemment habillé d’une forme très abordable : une belle prouesse d’écriture !

C’est pour moi si :

  • mon quotidien est triste et j’ai besoin d’y mettre en (gros) zeste de bonne humeur
  • j’aimerais qu’on me parle d’attirance homosexuelle et de la construction de l’identité qui va avec, mais de manière métaphorique et détournée
  • j’aime le théâtre d’objet branché sur du 220 volts

 

C’est l’histoire d’un jeu, le jeu de l’ourse. En même temps, c’est l’histoire de je, ou peut-être pour être plus précis l’histoire d’elle, la protagoniste, même si la comédienne qui l’incarne fait mine de s’embrouiller. Le discours louvoie donc entre première, deuxième et troisième personne du singulier, selon que l’interprète se confond avec le personnage, s’adresse à elle, ou prend la posture de la narratrice extérieure à l’action.

C’est l’histoire de la radioscopie d’un désir. Qui vaut radioscopie du désir, plus généralement. D’ailleurs, hors de question pour le public de rester confortablement à distance : il n’y a pas de quatrième mur, chose rendue très manifeste par l’entrée de la comédienne par le public, qui interpelle immédiatement les spectateur·rices dans la salle : « Est-ce qu’on peut désirer quelqu’un qu’on trouve vraiment con… ? Est-ce qu’il vous est déjà arrivé d’avoir des rêves érotiques ? Avec des animaux ? ».

Le ton et le projet sont clairs : ausculter un thème des plus importants pour la plupart des humains – la libido, ce monstre freudien né des pulsions sexuelles, ici représentée par un Tyrannosaure Rex – sur un ton humoristique voire clownesque – l’image utilisée pour la plongée dans l’inconscient, qui figure le travail psychanalytique, est une petite perle de justesse et de drôlerie, toute en simplicité. Au passage, faire mine de se mettre en risque – d’où le glissement occasionnel du “elle” vers le “je” – et impliquer le public – qui est notamment invité à tester un philtre d’amour avec une promo de 30 % sur la seconde bouteille – tout en utilisant à plein le potentiel ludique du théâtre d’objet.

Ça fonctionne extrêmement bien. L’histoire, chapitrée en 6 segments d’inégale durée, qui commence dans la matrice du Clan, siège de toutes les névroses, et qui finit au Printemps, moment de la libération des pulsions, par la grâce d’une personne appelée Diane et d’une manif’ qu’on devine être possiblement une gay pride, donne un fil proche de la fable ou du conte initiatique. L’écriture textuelle est vive et intelligente, avec de belles trouvailles langagières, des jeux de mots qui font mouche, des situations parlantes – la mise en regard du caractère des parents avec les névroses de l’enfant, sur fond de collages visuels hilarants et de manipulations qui font se succéder les objets à une vitesse vertigineuse, est un bel exemple d’imbrication de plusieurs registres d’humour comme de vivacité.

Le spectacle doit beaucoup à son interprète, Alice Mercier, qui fait montre d’une très belle présence scénique. A la fois attentive à son auditoire et précise dans le texte et les manipulations, elle a un vrai talent pour pousser les pitreries juste ce qu’il faut, sentir le rythme qui va fonctionner, simuler l’accident, en créant une vraie complicité avec les spectateur.rices. Sa manipulation des objets – la plupart sont des jouets en plastique du commerce – peut être frénétique au besoin, mais dans les – rares – phases plus lentes elle montre sa capacité à la rendre précise, sobre, efficace. Dans la fin du spectacle où l’incarnation du personnage en jeu d’actrice prend le dessus sur l’objet, la comédienne gère la transition sans heurts, et s’engage sans retenue dans un clown physique qu’elle maîtrise bien.

Du fond du spectacle, on peut dire qu’il est écrit avec un net parti pris pour un désir libre, auto-déterminé, assumé, joyeux – et après tout il est vrai non seulement que cela ne choquera vraisemblablement pas l’assistance, mais encore qu’une forme de 30 minutes n’est pas forcément le lieu d’une mise en réflexion profonde des tenants et des aboutissants des sexualités contemporaines. Et il faut bien avouer que le parcours sensible de ce témoignage très drôle d’un personnage qui traverse des questionnements bouleversants et qui est mis à l’épreuve de la solitude, du rejet, de la désorientation la plus totale amène beaucoup d’empathie pour son parcours de vie fictif, et rend le propos et la conclusion sympathiques.

Au final, on tient là un spectacle intelligemment amusant, émouvant, bien écrit et bien tenu, qui fait beaucoup de bien là où ça nous angoisse. Le ton adopté ne laisse pas beaucoup de place à l’interprète pour donner beaucoup de nuance dans le jeu, parce que le parti pris est de rester fort dans le clown, et, si on veut couper les cheveux en quatre, on peut aussi dire que la chute est un peu facile et abrupte là où on se serait attendu à une ultime pirouette, un dernier trait d’esprit. Mais ce serait être vilainement chagrin que de s’arrêter à cela : Le jeu de l’ourse est assez jouissif et même carrément virtuose, et on aurait grand tort de bouder son plaisir.

 

GENERIQUE

CONCEPTION: Lisa Lacombe et Alice Mercier
JEU: Alice Mercier
ECRITURE: Lisa Lacombe
CRÉATION SONORE: Clément Braive