Pour AVATĀRA, spectacle de marionnette et de danse présenté pour la première fois en France au Festival mondial des théâtres de marionnettes de Charleville-Mézières, Duda Paiva (Duda Paiva Company) collabore avec Shailesh Bahoran (Illusionary Rockaz Company) pour combiner deux visions artistiques. Les marionnettes corporelles en mousse si reconnaissables y rencontrent le popping de l’IRCompany pour un spectacle qui enthousiasme davantage sur la partie chorégraphique que sur la partie marionnettique.
C’est pour moi si :
- j’aime expérimenter des mélanges inédits
- j’ai envie de voir de la danse bien chorégraphiée et bien interprétée
- je suis fan de l’esthétique des marionnettes de Duda Paiva
Du popping à l’honneur
Pour les spectateur·rices aficionados des marionnettes mais moins habitués aux danses urbaines, c’est une belle initiation qui est proposée par AVATĀRA : l’IRCompany propose pour sa composante dansée une chorégraphie où le popping est roi. Cette danse saccadée, où le corps se contracte dans des poses presque immobiles pour ensuite exploser vers l’extérieur, est portée ici par cinq danseur·euses qui en ont une très belle maîtrise. A part quelques très légers problèmes de synchronicité sur les scènes de groupe, iels montrent une grande liberté dans les mouvements, tenant sans problème des postures difficiles, épousant parfaitement le beat. Iels construisent ensemble de très beaux tableaux, notamment quand iels mélangent leurs corps au point que les membres se confondent, dessinant des silhouettes improbables.
Tout cela est posé sur une scène presque nue, juste un tapis de danse et trois rectangles clairs plaqués au sol qui prennent violemment la lumière et servent de stations pour mettre en valeur les soli des danseur·euses. A fond de scène, trois plaques métalliques sont suspendues à la verticale, comme autant de cadres vierges attendant leur tableau. Au début du spectacle, un grand bloc de mousse veiné comme du marbre trône au centre de la scène : il n’est pas sans évoquer de loin le monolithe de 2001 : Une odyssée de l’espace. La pierre se fend bientôt, et l’un des danseurs semble être avalé par le bloc, qui, s’ouvrant en deux, finit par le libérer en compagnie d’une créature. C’est ainsi que la première marionnette arrive sur scène.
La marionnette en pointillés
On reconnaît immédiatement la facture des marionnettes portées et autres prothèses que Duda Paiva sculpte dans la mousse. Elles apparaissent souvent sous forme de ballots bien serrés qui se déploient dans des formes longilignes et légères. Elles n’ont pas dans AVATĀRA le réalisme troublant de la marionnette de Blind, qui était incroyablement expressive : au contraire, elles sont ici systématiquement difformes, étranges, en même temps humaines et non humaines. Ce qui ne les empêche pas de produire leur effet : ainsi de deux marionnettes jumelles de forme féminine, dont le corps s’arrête en bas des cuisses et dont le ventre évidé s’ouvre au niveau du pelvis pour permettre la manipulation, cette ouverture béante ayant quelque chose d’obscène, particulièrement quand les marionnettes sont laissées au sol sur le dos, cuisses écartées. Très impressionnant aussi, un bras prothétique démesuré que l’un des danseurs fixe sur son épaule, et qui le transforme en une sorte de demi Hulk.
La mise en jeu des marionnettes laisse tout de même un peu interdit. Les visages des marionnettes s’affaissent et se déforment facilement. De même, le corps des marionnettes, surtout leurs bras, ont tendance à balloter mollement quand les interprètes bougent. Le travail sur l’incarnation de leur corporéité n’est pas toujours tenu : un bras qui semblait peser 100kg ne pèse plus rien une minute plus tard, les marionnettes qui se montrent souvent agressives poussent et frappent les corps des interprètes qui réagissent parfois avec un demi temps de retard, annulant totalement l’illusion. Les marionnettes sont donc alternativement de simples objets ou des créatures auxquelles on peut croire, et cela ne semble pas être fait exprès. En tant que spectateur·ice, on est sorti de force de la suspension d’incrédulité à plusieurs reprises, et si c’est un effet délibérément recherché on se demande à quoi cela peut bien servir.
Une impression globalement correcte
En tous cas certaines des images produites sont fortes et belles. Les marionnettes finissent exposées au fur et à mesure sur les plaques à fond de scène, comme autant de Christs en croix que la communauté des danseur·euses ont rangé au rang de symboles de leur passé et non plus de forces actives, trônent au-dessus de l’action. Ici ou là, les marionnettes en jeu produisent des images saisissantes : un masque qui semble vomir le bras d’un danseur, deux marionnettes-troncs qui semblent coloniser le corps de Yordana Rodriguez la danseuse… Et il y a aussi de petits instants plus légers, situations absurdes ou créatures étranges qui invitent à sourire.
La fable racontée au fond est un peu cryptique, bien que le spectacle soit clairement narratif, et en tous cas son sens est suffisamment ouvert pour que chacun·e dans la salle puisse y projeter ses propres images mentales. Cela n’est pas désagréable d’être un peu libre de se construire une interprétation, sans pour autant être complètement abandonné·e à soi-même.
Dans l’ensemble, c’est un spectacle rythmé, bien construit, dont on se souvient surtout pour l’attrait visuel de certains tableaux et la précision de la chorégraphie, très bien exécutée par les interprètes.
GENERIQUE
Conception et mise en scène : Shailesh Bahoran, Duda Paiva
Chorégraphie : Shailesh Bahoran, en collaboration avec les danseurs
Marionnettes : Duda Paiva, Cat Smits
Danceurs : Simon Bus, Balder Hansen, Yordana Rodriguez, Marchano Sarijoen, Ser Sebico, Yashasvi Shrotriya
Lumière : Mike den Ottolander
Composition : Wilco Alkema, Rik Ronner
Costumes : Evita Rigert
Diffusion : Frontaa