Antichambre de la cie Stereoptik (c) DR

Antichambre de la cie Stereoptik (c) DR

Antichambre c’est une proposition poétique et sensible, qui se déploie dans plusieurs directions et emprunte à plusieurs arts. Romain Bermond et Jean-Baptiste Maillet (cie Stereoptik) ont réalisé un film d’animation avec des techniques artisanales, et ont construit un spectacle autour pour en dévoiler en partie les coulisses, et en étendre aussi certaines métaphores ou images, comme pour mieux préparer la dégustation du film. C’est très beau, et on en ressort en ayant le sentiment d’avoir reçu des clés pour mieux comprendre le travail des artistes.

 

C’est pour moi si :

  • j’aime le cinéma d’animation indépendant et créatif
  • je suis curieux·euse de voir le processus créatif des artistes
  • j’aime les poèmes visuels faits de successions d’images évocatrices

Une proposition protéiforme, un ciné-concert manipulé

Dans Antichambre, version spectacle, il y a deux phases : la première met en scène des gestes et techniques d’animation en direct, telle un carnet de création qui se rejouerait indéfiniment, tandis que la seconde consiste en une projection du film d’animation lui-même qui en est l’aboutissement. L’organisation est un peu linéaire, et on regretterait presque que Romain Bermond et Jean-Baptiste Maillet ne reviennent pas composer une dernière scène après le visionnage, en guise d’au revoir au public, mais, au moins, la première partie a l’intelligence de ne pas singer la structure du film, et de suivre son propre cheminement, un peu mystérieux.

Il s’agit, dans ce long temps préparatoire, dans cette antichambre de la création mise en scène, moins de tenter une narration que d’agencer des images pour elles-mêmes. Leur juxtaposition peut ainsi révéler une parenté esthétique, une proximité de technique, un rapprochement métaphorique… Il y a aussi une organisation selon une complexité croissante des techniques : on commence donc avec les pages d’un carnet de croquis qui se tournent, captées en gros plan, pour finir sur la construction d’une scène complexe animée en direct à quatre mains.

L’artisanat sonore et visuel

Pendant quelque 45 minutes, on assiste à un concert d’images aux couleurs vives et de musique bien choisie, avec une volonté de montrer le geste même de fabrication : les caméras, le banc-titre, les manipulations d’objets, tout se fait à vue. Le plaisir de voir le résultat sur le grand écran qui prend le milieu de la scène se double donc du plaisir d’espionner les deux artistes et d’avoir accès, quand on le souhaite, aux coulisses de la performance. Même quand des séquences animées ont été préparées en amont, elles sont projetées sur le banc titre où elles se mélangent aux dessins pour être capturées par la caméra : cela fait comme un mixage concret, dans le réel.

Au demeurant, la plupart des effets sont obtenus par des procédés qui ne doivent rien à l’électronique : il y a par exemple de jeux optiques avec la focale des caméras ou de la lumière noire, et quand les scènes ou les éléments bougent le mouvement vient de la main de l’un des artistes. On note d’ailleurs que Stereoptik s’autorise des échappées hors du monde à plat du banc-titre, en filmant quelques objets qu’ils amènent sous l’œil de la caméra, ou en étageant des paysages en profondeur comme dans un kamishibai.

Le charme d’une rêverie poétique

La musique est en bonne partie jouée au plateau, avec pas mal de boucles et de superpositions de pistes qui font comme un écho à la superposition des images mixées en direct. Il ne faut pas minorer son importance : elle appuie la dramaturgie des images, dans un spectacle qui est sans un mot, et elle tisse de très belles ambiances, navigant entre guitare électrique énervée, pop éthérée et funk bien groovy. La façon dont la bande-son accompagne le poème visuel renforce la proximité avec le cinéma, dont les techniques de montage et d’écriture sont très clairement mobilisées à l’écran (champs et contre-champs, plans larges et serrés, etc.). S’y ajoutent même des effets pour lier la musique aux images, comme par exemple une atténuation brutale d’une musique d’ambiance quand à l’écran on sort de la pièce où elle est jouée.

Au-delà du caractère esthétique des images proposées, avec des techniques variées, c’est leur poésie qui charme particulièrement : par des glissements constants, elles se transforment en autre chose que ce qu’elles évoquaient au départ, et cette plasticité crée de belles métaphores visuelles. Il y a aussi un plaisir à voir, sur l’écran, le grain du papier, le coup de pinceau, la corporalité des choses. Et la production de certaines images s’étire délibérément dans le temps, donnant alors le sentiment non seulement de voir le geste, mais d’assister à une mise en scène de la construction même du dessin, ce dernier se présentant un peu comme une énigme visuelle à résoudre à mesure que la composition évolue et que des éléments se dévoilent.

Le résultat sur l’écran est somptueux, le plaisir de la salle est manifeste même si le public est placé dans une position très classique, séparé de ce qu’il se passe au plateau par le quatrième mur. Antichambre est comme une longue rêverie qui offrirait en même temps des clés très concrètes de compréhension du travail des artistes. C’est une proposition belle, intéressante et qui ne ressemble à rien d’autre.

Antichambre faisait ses premières au Festival mondial des théâtres de marionnettes, mais il a une tournée fournie sur la saison 23-24, dont La Criée – CDN à Marseille et le
Lux – scène nationale de Valence en novembre, et une longue série du 13 au 23 décembre au Théâtre de la Ville à Paris.

 

GENERIQUE

Conception et interprétation : Jean-Baptiste Maillet, Romain Bermond